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L’intelligence artificielle est-elle une alliée ou une menace pour les formateurs ?

Le vendredi 27 et samedi 28 juin, à l’université d’été de Compétences Prévention, Sébastien Laurent animera un atelier au titre évocateur : “I.A. t’il moyen d’y échapper ?”.
Formateur indépendant, passionné par la pédagogie et curieux de toutes les innovations, Sébastien proposera un atelier résolument pratique et accessible pour aider chacun à se familiariser avec les outils d’IA générative.
À travers des tests concrets, des démonstrations simples et des partages d’expériences, il vous montrera comment ces outils peuvent vous faire gagner du temps, enrichir vos contenus et renouveler vos approches pédagogiques, sans jamais remplacer votre expertise de formateur.
Dans cette interview, il revient sur son parcours, sa vision de l’IA, ses usages concrets et les risques comme les opportunités qu’elle représente pour les professionnels de la formation.
Sébastien, pouvez-vous nous raconter ce qui vous a amené à vous intéresser au sujet de l’intelligence artificielle et à son usage en formation ?
S.L : Je m’appelle Sébastien Laurent, j’ai 47 ans. À l’origine, je suis infirmier, puis cadre de santé. J’ai exercé plusieurs années dans le secteur hospitalier, avant de me tourner rapidement vers la formation. En 2006, je suis devenu formateur en institut de formation en soins infirmiers, puis j’ai pris la direction d’un organisme de formation continue à partir de 2013.
C’est à ce moment-là que ma route a croisé celle de Compétences Prévention, en 2015, lorsque je me suis formé comme formateur PRAP 2S. Aujourd’hui, je suis formateur indépendant. Je me suis lancé à mon compte début 2024.
Mon intérêt pour la formation est ancien. J’ai animé mes premiers modules à 16 ans, dans le cadre du secourisme associatif. Depuis, je n’ai jamais cessé de transmettre. Cette passion pour la pédagogie m’a naturellement amené à m’intéresser à tous les outils qui peuvent enrichir une session de formation.
Je me suis d’abord tourné vers la création de supports papier et PowerPoint, à une époque où les vidéoprojecteurs étaient encore rares. Avec la digitalisation, je me suis investi dans le e-learning. Il y a quinze ans, j’ai mis en place mes premières plateformes de formation en ligne dans des instituts de soins infirmiers.
Cette dynamique ne m’a jamais quitté. Je suis convaincu qu’un bon formateur doit adapter ses outils au contexte et à son public. Un seul outil, aussi performant soit-il, reste limité. Avoir un marteau, c’est utile si vous avez un clou. Mais face à une vis, il ne sert à rien. C’est cette logique qui guide ma pratique depuis toujours : élargir ma boîte à outils pour mieux répondre aux besoins des apprenants.
C’est dans cet esprit que je me suis intéressé à l’intelligence artificielle. Quand l’IA générative est arrivée, avec des outils comme ChatGPT, j’ai voulu comprendre ce qu’elle permettait en formation.
J’ai exploré la génération de textes, d’images, de vidéos. Les outils de transcription, d’analyse ou de synthèse sont devenus de vrais alliés. Je ne les utilise pas systématiquement, mais ils ont trouvé leur place dans ma pratique. Ce ne sont pas des gadgets. Ce sont des compléments utiles, à condition de les intégrer de façon réfléchie.
D’après vous, les formateurs se sont-ils déjà appropriés l’intelligence artificielle ? Comment l’utilisent-ils concrètement ? Et percevez-vous des inquiétudes ou des réticences à ce sujet ?
S.L : Je ne ressens pas vraiment d’inquiétude. Je dirais même que l’intelligence artificielle ne menace pas les bons professionnels. Il y a une interview d’Alexandre Astier qui m’a marqué à ce sujet. On lui demandait si l’IA allait remplacer les auteurs. Sa réponse était très juste : elle va surtout mettre en difficulté ceux qui produisent du contenu “au kilomètre”, sans réelle valeur ajoutée.
On le voit déjà. Certains livres en ligne sont entièrement générés par des intelligences artificielles. Ils ne sont pas toujours de grande qualité, mais ils ne sont pas pires que d’autres ouvrages médiocres écrits sans IA. En revanche, l’IA ne remplacera jamais un Balzac ou un Victor Hugo. Elle n’apportera ni style, ni regard unique sur le monde. Elle ne remplacera pas l’humain derrière l’écriture.
Et c’est pareil pour les formateurs. Dans nos métiers, profondément humains, l’IA ne peut pas prendre notre place. Les apprenants ont besoin d’échanger avec une personne réelle, de se sentir écoutés, compris. La relation pédagogique repose sur l’interaction, sur l’expérience vécue, sur le lien. On apprend beaucoup par ses pairs, par les échanges, par ce que les autres partagent de concret.
Un formateur est légitime parce qu’il parle d’un vécu, parce qu’il comprend ce que vit le groupe. Ce lien, aucune machine ne peut le créer. Si un robot arrivait dans une salle pour “former”, il n’y aurait pas d’adhésion. Le savoir ne passerait pas.
Par contre, ce qui change, c’est la capacité à utiliser les outils. Et là, il y a une vraie différence entre ceux qui maîtrisent l’IA et ceux qui ne s’y intéressent pas. Dans un secteur où la concurrence est forte, c’est un vrai sujet.
Nous sommes nombreux à intervenir en tant qu’indépendants ou au sein d’organismes de formation. Lorsqu’un client fait une demande, il contacte plusieurs prestataires. Il attend une réponse rapide, claire et structurée. Si vous mettez trois semaines à formaliser votre proposition pendant que d’autres répondent dans la journée avec un dossier complet, vous avez déjà perdu l’opportunité.
C’est là que l’IA devient un atout. Elle vous fait gagner du temps. Elle vous aide à formuler plus vite, à structurer vos réponses, à personnaliser vos contenus. Ce n’est pas elle qui fait le travail à votre place. C’est un outil qui vous permet d’aller plus loin, plus vite.
Dans ce contexte, les formateurs qui sauront intégrer l’IA dans leurs pratiques auront clairement un temps d’avance.
Nous prendrons le temps de travailler sur un point essentiel : la rédaction des prompts.
Concrètement, quels types d’outils d’IA générative allez-vous présenter ou explorer durant l’atelier ?
S.L : L’objectif de l’atelier, c’est de faire découvrir plusieurs types d’IA générative, en commençant par les plus connues comme ChatGPT ou Gemini. On verra ensemble ce que proposent ces outils, comment les tester et surtout comment choisir celui qui vous convient le mieux.
L’idée, ce n’est pas de dire quel est le “meilleur”, mais plutôt de donner les clés pour comparer, expérimenter et adopter l’outil qui correspond aux besoins d’une formatrice, d’un formateur.
On prendra aussi le temps de travailler sur un point essentiel : la rédaction des prompts. Car une bonne réponse de l’IA dépend toujours de la qualité de la consigne que vous lui donnez.
Je montrerai comment structurer un prompt efficace. On verra comment formuler des demandes claires, les découper en plusieurs étapes, et surtout comment obtenir des réponses précises.
Ce travail sur le séquençage est indispensable aujourd’hui. Il permet notamment de contourner certaines limites des IA grand public, comme les restrictions sur la taille ou la densité des réponses.
L’IA fonctionne comme un flux en mouvement permanent
Pour vous, y a-t-il des différences notables entre des outils comme ChatGPT, Gemini ou Deepseek dans le cadre de la formation ? Ou obtient-on globalement des résultats similaires ?
S.L : Non, vous n’aurez jamais exactement le même résultat, et c’est justement ce qui rend l’IA si intéressante à utiliser. Chaque outil a sa manière de traiter l’information, mais il faut surtout comprendre une chose : l’IA fonctionne comme un flux en mouvement permanent.
Je compare souvent ça à une rivière. Si vous vous baignez aujourd’hui dans la Marne, puis que vous y retournez demain, vous êtes bien au même endroit… mais dans une eau totalement différente. Aucune molécule n’est la même. L’IA, c’est pareil. Elle s’alimente en continu, avec vos requêtes, celles d’autres utilisateurs, et avec tous les contenus qui circulent dans le monde entier.
Résultat : la réponse que vous obtenez aujourd’hui ne sera jamais identique à celle que vous recevrez demain, même en posant la même question. Deux IA différentes donneront forcément des réponses différentes. Et une même IA, à deux moments différents, vous répondra de façon unique à chaque fois.
Pour moi, l’intelligence artificielle est d’abord un outil de gain de temps et de stimulation intellectuelle.
Vous avez en tant que formateur, un outil préférentiel ?
S.L : Pas vraiment. Pour moi, cela dépend surtout du contexte, des besoins, et des habitudes de travail de chacun.
Prenons un exemple : si vous êtes déjà dans l’écosystème Microsoft, avec un abonnement Office 365, vous allez naturellement vous tourner vers Copilot. Vous avez vos repères, vous êtes à l’aise avec Word, Excel, Outlook… Donc vous testez Copilot, vous commencez à l’utiliser régulièrement, et vous finissez par l’adopter. Comme vous avez déjà une version payante, vous n’allez pas forcément souscrire à d’autres outils comme Gemini ou ChatGPT. Et au final, vous restez dans cet environnement.
C’est exactement ce qui s’est passé pour moi, mais avec Gemini. Je travaille beaucoup avec la suite Google. J’utilise Gmail, Google Docs, Drive… J’ai souscrit à un abonnement pour augmenter ma capacité de stockage, et l’option IA de Google était incluse. Alors naturellement, je me suis tourné vers cet outil. Et aujourd’hui, je l’utilise davantage que les autres, tout simplement parce qu’il s’intègre dans mon environnement de travail.
Ce n’est donc pas uniquement une question de performances. C’est aussi une question de choix personnels, d’usages quotidiens, et d’écosystème dans lequel on évolue.
Pour que l’IA soit utile, elle doit être utilisée par quelqu’un qui maîtrise le sujet
Comment ces outils peuvent-ils aider un formateur ou un organisme de formation dans la conception pédagogique ou la création de contenus ?
S.L : Pour moi, l’intelligence artificielle est d’abord un outil de gain de temps et de stimulation intellectuelle. Elle permet de générer des idées, d’explorer des pistes, de structurer plus rapidement une réponse. Mais attention : pour que l’IA soit utile, elle doit être utilisée par quelqu’un qui maîtrise le sujet.
Si vous travaillez sur un projet en ingénierie pédagogique, vous devez avoir les compétences pour analyser ce que l’IA vous propose. Sinon, le résultat peut être très pauvre. On voit aujourd’hui beaucoup de promesses sur les réseaux : “Générez votre formation en 10 minutes avec un prompt”. Honnêtement, ce type d’approche donne souvent des contenus de mauvaise qualité.
L’IA peut produire des choses, mais c’est vous qui devez garder le regard critique. C’est un peu comme donner un crayon à un enfant et lui demander de dessiner la Joconde. Il fera quelque chose, mais ce ne sera pas la Joconde. Il faut des repères, des connaissances, un vrai savoir-faire pour exploiter l’outil à sa juste valeur.
En revanche, si vous prenez le temps de vous former à l’IA, de comprendre son fonctionnement, vous allez pouvoir l’interroger efficacement, la pousser plus loin, et l’utiliser comme un levier complémentaire à votre expertise. Cela vous permettra de challenger vos habitudes, de générer des idées nouvelles, et d’aborder certaines thématiques sous un autre angle.
Par exemple, dans notre domaine de la prévention des risques professionnels, on a parfois tendance à toujours aborder les situations de la même façon. L’IA, elle, peut vous proposer d’autres approches pédagogiques, d’autres scénarios, d’autres méthodes. Rien que le fait d’avoir cinq idées de traitement différentes pour une même thématique, c’est déjà très enrichissant.
Autre avantage : la réactivité. L’IA peut vous aider à répondre rapidement à une commande de formation. Là où, avant, vous deviez réfléchir en équipe, solliciter des collègues, chercher des intervenants disponibles… aujourd’hui, en tant que formateur indépendant, vous pouvez générer en moins d’une heure un plan structuré, une trame pédagogique, voire une proposition complète.
Et si vous ne vous sentez pas légitime sur un sujet, vous pouvez utiliser l’IA pour évaluer rapidement le niveau de technicité attendu. J’ai moi-même conçu un script qui me permet, à partir d’une demande, de générer un document de cadrage avec une bibliographie, des contenus et des attendus pédagogiques. Si je vois que tout est dans mon domaine de compétence, je réponds à la demande. Si certains points dépassent mon champ, je préfère orienter le client vers un collègue plus qualifié.
Enfin, l’IA est très utile pour créer des supports pédagogiques. Vous pouvez générer des vidéos, des cas concrets, des situations de travail fictives. Par exemple, en PRAP IBC, j’utilise l’IA pour créer des cas d’analyse de situation. Je les retravaille ensuite, bien sûr, mais cela me fait gagner un temps précieux.
Même chose pour les visuels : plutôt que de passer trois jours à faire une mise en scène photo, vous pouvez générer une image en quelques minutes. Le résultat est exploitable, rapide, et souvent très pertinent. Là où vous auriez passé des heures à tout construire, vous gagnez en efficacité tout en gardant la maîtrise du fond.
Quels sont selon vous, les risques de l’IA pour le secteur de la formation ?
S.L : Le principal risque, selon moi, concerne l’équilibre du marché. Une fois que les grandes structures auront formé leurs ingénieurs pédagogiques à l’intelligence artificielle, elles pourront aller très loin. En combinant ces compétences avec celles d’un spécialiste IA, elles seront capables de produire, très rapidement, des formations ultra-performantes, parfaitement calibrées pour répondre aux besoins du terrain.
Elles auront les moyens de proposer des modules clés en main, avec tous les supports déjà prêts, tous les contenus optimisés. Il ne leur restera plus qu’à recruter des animateurs de formation, parfois à bas coût, pour assurer le présentiel.
Dans ce contexte, pour les formateurs indépendants, la concurrence risque de devenir encore plus rude. Le danger, c’est que le marché soit saturé par les offres de ces grands acteurs. Et que les indépendants n’aient plus leur place s’ils ne parviennent pas à suivre le rythme ou à se différencier.
La meilleure porte d’entrée aujourd’hui, c’est l’IA générative conversationnelle.
Pour les professionnels de la formation qui hésitent ou se sentent dépassés par l’IA, quels conseils donneriez-vous pour commencer à l’utiliser de manière simple et efficace ?
S.L : La meilleure porte d’entrée aujourd’hui, c’est l’IA générative conversationnelle. Des outils comme Gemini Live sont très accessibles : vous posez une question à l’oral, l’IA vous répond. Pas besoin de rédiger, pas besoin de chercher la bonne tournure. Vous interagissez comme dans une conversation, ce qui lève beaucoup de blocages.
C’est simple, gratuit, et surtout, ça permet de tester sans pression. Vous pouvez très vite voir ce que l’outil peut vous apporter et comment il peut s’intégrer dans votre quotidien de formateur.
Personnellement, un des outils qui m’a le plus facilité la vie, c’est Fireflies. C’est une IA que j’ai intégrée à mon agenda Google. Elle s’ajoute automatiquement à mes réunions en visio. Elle enregistre, retranscrit les échanges, différencie les intervenants et surtout, elle synthétise toute la réunion.
A la suite d’une heure de réunion, elle est capable en quelques minutes de sortir les thèmes abordés, les points de vue exprimés, les décisions prises, et même les actions à mener pour chacun. Il peut y avoir quelques erreurs, mais on garde l’enregistrement pour corriger si besoin. Franchement, c’est bluffant.
Et le plus intéressant, c’est que ces fonctionnalités sont disponibles gratuitement. Vous pouvez les tester sans engagement, sur plusieurs réunions. Ce sont des outils concrets, efficaces, qui font vraiment gagner du temps.
Mon conseil, c’est de commencer par là. Allez vers des usages simples, utiles, qui vous soulagent au quotidien. L’IA n’a pas besoin d’être compliquée pour être puissante.
Votre atelier s’adresse aussi à des personnes qui n’ont jamais utilisé l’IA. Quels sont les premiers déclics que vous espérez provoquer chez les participants ?
S.L : L’objectif, c’est d’abord de tester ensemble quelques outils concrets. On va les découvrir, les manipuler et voir ce qu’ils peuvent apporter dans une pratique de formation.
Mais surtout, ce que j’espère, c’est provoquer ce petit moment de surprise. Que les participants repartent en se disant : “Ah oui, quand même !”.
Je veux qu’ils réalisent que ce n’est pas si compliqué, et qu’on peut déjà faire des choses très intéressantes, même sans expertise technique. L’idée, c’est de montrer que l’IA peut être simple, utile et accessible, même pour une première prise en main.
Enfin, pourquoi ne faudrait-il surtout pas manquer votre atelier lors de l’université d’été de Compétences Prévention ?
S.L : Parce que c’est l’occasion idéale de tester l’IA en toute simplicité. Si vous n’y connaissez rien, vous allez pouvoir découvrir les bases et comprendre comment ces outils fonctionnent. Si vous avez déjà quelques notions, vous repartirez avec des repères clairs pour faire le tri entre les différents outils disponibles.
Et puis surtout, on va expérimenter ensemble. L’atelier, c’est aussi un moment pour jouer avec l’IA, essayer, s’amuser, et peut-être même avoir envie d’aller plus loin ensuite.
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